Luzenac, le petit poussé dehors
Prolongé de recours en recours, le feuilleton du Luzenac AP s’achève sur un épilogue tragique, celui de sa dégringolade très loin de la Ligue 2. Les belles épopées villageoises, c'est seulement pour la Coupe de France.
Interdit d’accès en National, Luzenac a préféré jeter l’éponge, le club ne survivant qu’à travers son équipe réserve qui évoluera en DHR. Les Ariégeois, qui avaient également demandé une accession automatique à la fin de la saison, ne l’ont pas obtenue. Tout juste la FFF a-t-elle épargné aux joueurs libérés le statut de "joker" qui aurait considérablement amoindri leurs chances de retrouver un club rapidement. C’en est donc fini de la belle histoire de la saison passée, populaire et très médiatisée: le temps d’un été, le LAP aura au moins réussi l’exploit de mettre en sourdine le traditionnel marché des transferts.
"L'esquisse d'une ligue fermée"
Sans doute est-il trop tôt pour tirer les conséquences d’un tel événement. L’affaire Luzenac, dont les tenants et les aboutissants ont souvent paru bien flous, dont les protagonistes n’ont pas toujours été de très bonne foi (lire "Luzenac: intrus dans la tête"), a eu un mérite: mettre au cœur du débat la question essentielle de ce que le sport français, fût-il professionnel, doit devenir. L’intervention de plusieurs politiques, jusqu’au secrétaire d’État aux Sports, laisse envisager une telle prise de conscience, certes tardive, et peut-être feinte. Néanmoins, Thierry Braillard avait assez bien exprimé les termes du débat, quoique de manière un peu orientée, en déclarant: "Soit elle [la LFP] estime que le monde pro se restreint à 43 clubs et elle donne le message au monde amateur que, quoi qu'il arrive, ils ne monteront pas en Ligue 2. Ça s'appelle l'esquisse d'une ligue fermée. Soit elle laisse l'espoir au monde amateur de se professionnaliser par des victoires acquises sur le terrain et, dans ce cas, on garde l'esprit du sport."
Dans l’immédiat, l’ultime défaite du LAP devrait aboutir à une concertation permettant de simplifier les procédures: si le club s’est vu refuser une accession en Ligue 2, il semble bien que sa quasi-disparition soit due aux innombrables délais inhérents à la procédure. D’appels en appels, de recours en recours, Luzenac n’a obtenu de réponse définitive qu’après le début du championnat de National, retard fatal à l’équipe première du plus célèbre "Petit Poucet" de France.
On pourra difficilement reprocher à Luzenac de n’avoir pas mangé son chapeau, par pragmatisme, pour rejoindre à temps le championnat de National: il n’y a pas de raison pour que l’une des parties profite des lourdeurs administratives en place au détriment de l’autre. Reste à savoir si l’opacité des décisions des gendarmes du football français sera, elle aussi, revue à la baisse: la Ligue en tout cas a rendu publics les procès-verbaux de sa sentence finale, contrairement à ce qu’elle avait fait jusqu’à maintenant. Toutefois, il y a fort à parier qu’il ne s’agisse ici que d’une riposte aux documents dévoilés par son adversaire dans la presse.
Réduire l'aléa sportif
Mais quels qu’aient été les manquements du LAP – et ceux-ci restent à déterminer précisément – on voit mal comment un club de cette envergure pourrait réussir le grand saut du professionnalisme dans les conditions actuelles. Un village de cinq cents habitants n’a tout simplement pas les moyens de faire construire un stade aux normes: en tout état de cause, un petit club resterait tributaire du bon vouloir des grosses communes environnantes. En pratique au moins, l’accession au professionnalisme demeure subordonnée au soutien d’une grosse collectivité et à des moyens financiers conséquents.
Le système des promotions et des relégations fera d’ailleurs l’objet d’une réunion entre le ministre et les divers acteurs institutionnels le 15 septembre prochain, mais les signaux envoyés jusque-là par les pouvoirs publics sont plutôt contradictoires. Au-delà de la sympathie qu’un secrétaire d’État et quelques politiques locaux ont affichée pour le LAP, de nombreux rapports parlementaires ont, ces dernières années, appelé à "sécuriser" les modèles économiques des clubs via la diminution des relégations, l’apparition de licences clubs etc. D’abord soucieux de la bonne utilisation des deniers publics, et choqués par quelques faillites sportives dans lesquelles le contribuable a perdu beaucoup d’argent, les rédacteurs de ces rapports se sont surtout attachés à proposer des mesures visant à réduire l’aléa sportif. L’intérêt public, lui, semble absent de ces travaux.
Persuadés de "déranger", les supporters du LAP peuvent à bon droit se sentir floués. Reste à savoir par qui. Sans verser dans "la théorie du complot" – formule assez efficace pour jeter un discrédit facile sur des gens qui se posent des questions finalement assez légitimes –, on ne peut que constater que l’éviction de Luzenac prend place dans un contexte général peu favorable aux épopées d'en bas. Gageons que l’interminable imbroglio qui a mené le club ariégeois des pages du New York Times aux confins de la septième division posera au moins les termes clairs d’un débat nécessaire: l’argent ou le football.